Pont des Arts : Des riverains profitent de la nuit pour retirer les cadenas des touristes
15 avril 2024 Non Par evelyse vignardetDes riverains profitent de la nuit pour retirer les cadenas des touristes : Un groupe de riverains se relaie depuis plusieurs mois pour enlever quotidiennement les cadenas accrochés sur le pont des Arts, reliant les Ier et VIe arrondissements de Paris. Même après le retrait des grilles en 2015, le phénomène persiste, avec le retour des vendeurs à la sauvette.
Au coucher du soleil sur le pont des Arts, un moment prisé par les photographes, des scènes romantiques se déroulent : des amoureux s’étreignent sur les premières planches de la structure, près du Louvre. Laura, une mère argentine en visite avec sa fille, accroche un cadenas sur un lampadaire offrant une vue sur la tour Eiffel. Inspirée par un roman de Julio Cortázar, où deux amants scellent leur amour de la même manière, elle capture ce geste symbolique en photo.
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Cependant, Guy intervient discrètement derrière la touriste. Sur un autre candélabre, il s’affaire à retirer les antivols de vélo utilisés pour accrocher des dizaines de cadenas. Avec habileté, il utilise une barre de fer pour faire sauter les dispositifs et éviter que cette “guirlande” ne tombe dans la Seine.
Le geste de Guy est parfaitement maîtrisé, et pour cause, il vient “libérer” le pont des Arts, classé monument historique, presque toutes les semaines.
“Il faut aimer le patrimoine pour être vraiment romantique. Ce n’est pas suivre des tendances populaires un peu stupides, méchantes et laides”, plaide ce Franco-Américain. “Madame, souhaitez-vous récupérer votre cadenas ?”, propose-t-il à la touriste sud-américaine. “Non, cela m’importe peu, je vais continuer à croire qu’il est là pour toujours”, répond Laura, comprenant l’agacement de ce défenseur du pont des Arts. Guy admet avoir déjà choqué des touristes.
Sur les réseaux sociaux, son initiative a suscité des imitations. Les images de ses actions sont vues des milliers de fois et certains vont jusqu’à le copier. Mercredi soir, plusieurs personnes ont répondu à son appel, équipées d’outils divers. Mais Guy a déjà tout dans son sac : barre de fer, coupe-boulon, marteau… “C’est une initiative saine et simple, comme ramasser les déchets devant chez soi”, estime Laurent, qui a embrassé pour la première fois celle qui est devenue la mère de ses enfants sur ce pont.
Pas du goût des vendeurs de cadenas
Guy se sent réconforté par le soutien de ces personnes. Il raconte avoir eu plusieurs confrontations avec les vendeurs de cadenas. “Quand je faisais ça sur la passerelle Solférino (aujourd’hui la passerelle Léopold-Sédar-Senghor), ils ont été agressifs et ont jeté mes outils dans la Seine”, se remémore-t-il. Depuis lors, Guy agit la nuit, après le départ des vendeurs de cadenas.
Quant aux vendeurs, ils remettent en place des antivols dès le lendemain matin, accompagnés de cadenas attrape-touristes. Ce sont des dispositifs qu’ils attachent eux-mêmes pour donner l’impression aux passants qu’ils ne sont pas les premiers à pratiquer cette tradition, les incitant ainsi à acheter leur propre cadenas et à le suspendre à leur tour.
« C’est le travail de la mairie »
L’engagement de Guy pour la préservation du pont des Arts a pris une nouvelle dimension lors du premier confinement. Pour occuper ses journées, il s’est mis à nettoyer les parapets en verre qui ont remplacé les grilles métalliques où des tonnes de cadenas “d’amour” s’étaient accumulées malgré elles entre 2008 et 2015.
D’autres résidents, profitant de leur autorisation de sortie, se sont joints à lui. “En deux semaines, nous avions effacé tous les tags et les graffitis, retiré tous les cadenas… C’était en quelque sorte le travail de la Ville”, critique le quadragénaire, alternant entre l’anglais et le français. Rapidement, un collectif s’est formé.
Les riverains expriment leur frustration de devoir assumer un travail qui relève normalement de la responsabilité municipale. Ils déplorent l’absence de mesures contre les vendeurs, malgré les millions investis dans l’entretien et les travaux sur le pont. Ces derniers s’en prennent à un homme en particulier, “qui détient le monopole de la vente de cadenas ici depuis 2013”, affirme Guy. “Je l’ai identifié sur des images de l’époque !”
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Cet individu, avec qui il avait eu des échanges cordiaux par le passé, “s’est vanté d’avoir été verbalisé des centaines de fois sans jamais payer d’amende”, rapporte Guy. Nous avons acheté un cadenas auprès de lui – à 7 euros pièce, ce qui donne une idée du chiffre d’affaires quotidien – en nous faisant passer pour des touristes pour le questionner. En vain : le vendeur à la sauvette nous a rapidement demandé de partir.
Ariel Weil, le maire (PS) de Paris Centre, le connaît bien. “Je lui ai demandé de partir encore la semaine dernière. Mais il revient une heure après”, déplore l’édile. C’est également le cas lorsque la police intervient. L’élu souligne la complexité de la situation en raison du partage du pont avec le VIe arrondissement.
“Il n’y a pas de danger immédiat, mais ce n’est pas esthétique”, ajoute Ariel Weil. “Nous enlevons les cadenas que nous trouvons, mais comme les pièces dans la fontaine de Trevi à Rome, ces traditions persistent.” L’élu reconnaît son impuissance : “Nous allons continuer à rendre les choses difficiles pour lui, mais cela demande beaucoup de ressources pour peu de résultats.”
Des panneaux pour dissuader les touristes ?
Ces amoureux ne sont pas satisfaits et demandent au moins des panneaux dissuasifs pour empêcher l’accrochage de cadenas ici. “It’s raining locks!” (Il pleut des cadenas), conclut Guy après avoir retiré un septième candélabre en une heure, à grands coups de marteau.
Il reste encore les cadenas accrochés en hauteur, nécessitant un escabeau et une disqueuse. Et il y a également les dizaines de milliers d’autres cadenas qui ornent les grilles de la butte du Sacré-Cœur à Montmartre (XVIIIe), bien ancrés dans la ville de Paris.