Ces campagnes d’Île-de-France et de l’Oise ont faim : Véronique a vendu son sommier pour acheter de la viande
9 mai 2024 Non Par evelyse vignardetVéronique a vendu son sommier pour acheter de la viande : Loin de la vision traditionnelle du potager caché derrière une maison de banlieue, de nombreuses personnes en zone rurale sont touchées par la précarité alimentaire. Un reportage dans l’Oise met en lumière l’action d’une épicerie sociale itinérante de l’Ordre de Malte qui distribue des colis aux habitants les plus isolés.
La camionnette blanche est prête, chargée de sacs pleins à craquer. Les bénévoles de l’Ordre de Malte montent à bord sous un ciel gris. André, coiffé d’une casquette, prend le volant, parfaitement familiarisé avec l’itinéraire. Catherine consulte la feuille de route détaillant les treize étapes de la tournée matinale, couvrant les alentours d’Estrées-Saint-Denis (Oise). Le premier arrêt est chez Rémy, un village de 1 700 habitants où les deux enfants de Cédric, âgés de 11 et 14 ans, l’attendent.
Cédric, âgé de 47 ans et actuellement sans emploi, envisage de devenir autoentrepreneur pour vendre sur les marchés. Il a même trouvé un camion, mais le financement reste hors de portée. Avec 670 euros de RSA et 140 euros de la CAF par mois, il peine à joindre les deux bouts. Les dépenses incompressibles comme l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone, Internet et le loyer laissent peu de place pour la nourriture.
Cette réalité n’est pas unique à cet endroit ; l’inflation croissante pousse de plus en plus de personnes à vivre des fins de mois difficiles. En 2023, une étude du Crédoc révélait que 16 % des Français font face à la précarité alimentaire, un chiffre en augmentation.
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« Avant, tout le monde se connaissait, mais, maintenant, on a moins de solidarité entre les habitants »
Dans les zones rurales, ces difficultés sont souvent amplifiées, observent les travailleurs sociaux et les membres d’associations. François Chapuis, responsable de l’épicerie sociale itinérante, exprime son constat : « Dans une grande ville, on ne risque pas de mourir de faim avec les Restos du cœur, la Croix-Rouge, etc. Mais dans les villages, il n’y a pas d’associations, plus de commerces, plus de lignes de bus, plus de services publics, plus rien.
Certains habitants peuvent se sentir complètement isolés. » Il déplore également le manque de solidarité entre les habitants, soulignant que « avant, tout le monde se connaissait, mais maintenant, on observe moins de solidarité. Beaucoup de villages sont devenus des lieux où l’on dort simplement. »
C’est pourquoi il a lancé cette initiative d’épicerie sociale itinérante en 2015, pour aller à la rencontre des personnes en situation de précarité. « Nous avons trouvé une vieille camionnette en mauvais état mais fonctionnelle, la communauté de communes d’Estrées-Saint-Denis nous a apporté son soutien financier, et la Banque alimentaire nous a fourni des produits secs. C’était le début de notre action. »
Presque dix ans plus tard, les besoins ne diminuent pas, bien au contraire : dans l’Oise seulement, les réserves des banques alimentaires diminuent constamment, témoignant d’une demande croissante. En trois ans, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 30 %.
André, concentré sur la route sinueuse, explique qu’il connaît la situation de chacun des bénéficiaires, qu’ils soient anciens ou nouveaux dans la tournée. « Nous prenons toujours le temps de discuter. Notre mission inclut également un accompagnement pour ceux qui en ont besoin. » Ce matin, ils rencontreront des personnes variées, telles que Nicolas, un ancien détenu de 52 ans en recherche d’emploi sans permis, Marie-Noëlle, une retraitée de 72 ans avec des revenus limités, ou encore Francesco, 56 ans, devenu aidant pour sa femme malade, qui se retrouve à découvert chaque fin de mois.
Couches, compotes et purées
« Certains ont eu des accidents de la vie, ce que j’appelle des bosses, et sont dans la misère, d’autres ont juste besoin d’un petit coup de main passager. » À travers la fenêtre, les champs de colza défilent. « Mais il y a aussi beaucoup, beaucoup de solitude », reprend André. Quelques minutes plus tard, les bénévoles arrivent à Estrées-Saint-Denis, 3 700 habitants. Ils se garent sur un petit parking, s’affairent pour sortir des sacs et les montent dans les escaliers d’une résidence.
Une première sonnerie. Son nourrisson de quelques semaines endormi dans les bras, une femme au visage fatigué ouvre la porte de son appartement. Quelques banalités sont échangées : oui, le bébé va bien, il laisse ses parents dormir la nuit, enfin pour le moment, les autres enfants vont bien aussi. Sur la table basse du salon, les vivres sont déballés, des pâtes, des cornflakes, de l’huile, des compotes, des purées infantiles, quelques boîtes de conserve, mais aussi des couches, du coton…
Depuis l’accident de travail du père, en janvier dernier, leur situation économique a basculé. « Avant, on avait déjà des difficultés mais là, c’est encore pire. » Cela fait quatre mois seulement que cette famille sollicite l’aide de l’Ordre de Malte, sur les conseils d’une assistante sociale. « On a besoin de tout, de quoi manger, de quoi se laver », soupire le père. Assis sur son canapé, tee-shirt aux couleurs du PSG, Serge, 47 ans, dépeint ce quotidien à jongler entre quatre sous. « Pendant un temps, on ne payait plus les loyers pour nourrir les enfants. L’avantage, c’est qu’ils adorent la semoule et les pâtes. »
« Mon téléphone portable va être coupé »
Depuis lors, elle est dans l’incapacité de travailler. Ainsi, la mère et son fils s’organisent comme ils le peuvent, mais la vie quotidienne est difficile. Rapidement, les larmes montent aux yeux de cette femme de 52 ans. « Je n’en peux plus. J’ai mal partout, je suis épuisée », sanglote-t-elle pendant que son fils adolescent détourne le regard.
Comme beaucoup d’autres, Véronique fait des calculs et des recomptages constants des euros qui lui restent. « Là, il me reste seulement 4 euros sur mon compte. » Ce mois-ci, elle n’a pas pu régler de nombreuses factures. « Mon téléphone va être coupé, je vais perdre la télévision. » Pour acheter un peu de viande, elle a dû vendre son sommier pour 80 euros.
Elle ne peut pas se rendre aux Restos du Cœur pour obtenir un peu d’aide supplémentaire. « Il faudrait que je me rende à l’antenne de Compiègne, mais je n’ai pas d’argent pour l’essence. » Sans voiture, se déplacer est compliqué : en zone rurale, les lignes de bus sont peu nombreuses, avec des horaires souvent peu pratiques.
Elle ne peut pas non plus visiter son père en maison de retraite, profiter des offres dans les supermarchés discount situés en périphérie, ou même se rendre à ses rendez-vous avec les travailleurs sociaux. « Ils me disent de me déplacer, mais comment ? Je n’ai pas les moyens de le faire », s’indigne-t-elle. À côté d’elle, André et Catherine restent silencieux, l’écoutent surtout, avant de reprendre la route. Parfois, les mots ne suffisent pas.